Titane, de Julia Ducourneau
Je suppose que, si vous êtes dans cette salle ce soir, ce n’est pas par hasard; que vous n’avez pas bravé l’orage, et dégainé votre passe sanitaire sans savoir un certain nombre de choses sur le film que vous êtes venu voir, vous vous attendez donc à être dérangés, retournés par cette Palme d’or hors du commun.
Hors du commun à plusieurs titres : 2ème attribuée à une femme (1ère : La leçon de Piano, 1993) ; mais surtout 1ère à être attribuée à un film qui n’a pas peur de choquer, un film qui est à la fois un film d’auteur et un film qui aborde frontalement le sexe, la violence, le fantastique, l’horreur, bref ce qu’on appelle un film « de genre » ; 1ère fois qu’une jeune réalisatrice française enchaîne pour son 1er film (Grave), le grand prix du festival de Gérardmer et pour son 2ème la Palme d’or. On parle d’ailleurs actuellement du renouveau du cinéma de genre en France avec d’autres films sortis cette année : Teddy, des frères Boukherma ou La Nuée de Just Philippot.
Cette expression « film de genre », Julia Ducourneau la revendique à double titre, à la fois dans le sens que je viens d’évoquer, mais aussi parce que c’est une réflexion sur le « genre », elle a voulu brouiller les stéréotypes de genre, sur la féminité et la virilité, à travers les 2 personnages principaux : une femme montrée comme hypersexualisée notamment dans une séquence de salon de l’auto qui n’est qu’un leurre, et un homme montré dans un univers connoté comme masculin, celui d’une caserne de pompiers, univers féminisé par les couleurs, la douceur.
Plus encore que d’un film de genre, on peut parler d’un film mutant : en effet, le film bascule, évolue au cours de l’histoire et change d’orientation, de même les personnages sont des mutants et des personnages dont les corps se métamorphosent: une femme qui a du fer dans la tête, un homme dont le corps est modifié par les stéroïdes. Cet homme est incarné par Vincent Lindon : la réalisatrice a écrit le film en pensant à lui pour ce rôle, il a accepté sans rien savoir du film et a soulevé des poids pendant un an pour modifier son corps, selon la technique de l’actor’s studio. JDucourneau pense que le corps est le 1er outil de l’acteur et que le travail de préparation du corps lui permet d’entrer dans le rôle. Pour le rôle « féminin », elle a tenu en revanche à avoir une actrice assez androgyne mais inconnue, afin que le spectateur n’ait pas de représentation sur elle et qu’il puisse croire à sa métamorphose.
C’est un film qui s’appuie sur de très nombreuses références cinématographiques (Cronenberg, Carpenter, et bien d’autres moins évidentes), mais aussi mythologiques (le titre renvoie à la plaque de Titane que le personnage principal a dans le crâne mais aussi aux Titans, à le rencontre entre le métal et le feu, le froid et le chaud..).
Un film noir donc, mais qui ne se veut pas pessimiste : il s’agit selon la réalisatrice avant tout d’un grand film d’amour !