The Bikeriders,de Jeff Nichols

The bikeriders, de Jeff Nichols

La dernière fois que je vous ai présenté un film de Jeff Nichols, c’était en 2016, et il s’agissait de Midnight special. Cette année-là, il avait sorti 2 films coup sur coup : ce film de SF sur la relation entre un père et son fils, et Loving, film traitant du mariage entre une femme noire et un homme blanc dans l’Amérique de 1967. J’ai repris la présentation de 2016 : je vous parlais alors d’un jeune réalisateur (il avait 38 ans, il en a donc aujourd’hui 46) qui s’était imposé grâce à 2 très grands films : Take shelter et Mud, sur les rives du Mississippi. Je vous parlais également de sa relation avec son acteur fétiche, Mickael Shannon, au sujet de qui il disait : « Je ne veux pas faire un seul film sans lui ! (…) Michael Shannon m’inspire, il me rend meilleur, plus efficace ! » Eh bien il n’a pas trahi ses propos de l’époque, et Mickael Shannon sera bien à l’affiche du film de ce soir, même s’il n’incarne pas un des personnages principaux et suite à ce film JN déclare : « Je ne sais pas pourquoi je devrais encore être surpris lorsque Michael Shannon délivre une grande performance, mais je l’ai été, une fois de plus ! »

En revanche, si ses précédents films mettaient souvent l’action sur les relations père/fils, ce n’est pas le cas de celui-ci.

Dès 2018, Nichols révèle qu’il songe depuis 5 ans déjà à réaliser un film de motards situé dans les années 60, mais sans avoir de scénario. M Shannon lui aurait dit : « Tu parles de cette foutue idée depuis si longtemps. Tu ne feras jamais ce [film] ». Rien de tel comme défi pour qu’il se mette au scénario mais ce n’est qu’en 2022 que le projet se précise. The bikeriders est tiré d’un livre de photographies portant le même titre, publié par Danny Lyon (un des personnages du film) en 1967 et le réalisateur a réellement recréé, consciemment ou non, certaines de ces photos, qui étaient affichées dans son bureau pendant toute la préparation du film. Le titre n’est d’ailleurs pas anodin, on a plutôt l’habitude de désigner les motards sous le terme de « bikers », mais celui-ci désigne les motards de la côte ouest, alors que « bikeriders » désigne ceux du midwest (l’histoire se déroule dans l’Illinois)

Bien sûr, quand on réalise un film de motards situé dans les années 60, on ne peut échapper à 2 références écrasantes (et revendiquées par le réalisateur), à savoir L’Equipée sauvage (de Laslo Benedek, 1953, avec M Brando) et le film qui marqua le début du Nouvel Hollywood : Easy Rider de Dennis Hopper avec Peter Fonda , Jack Nichoslon et le réalisateur lui-même. Mais la particularité du film de Nichols réside dans la narration décalée, dans le regard extérieur porté sur ces motards. En effet, ils sont vus à travers le regard du photographe d’abord, mais aussi de Kathy, la compagne du chef de ce gang, 2 personnages qui permettent de prendre du recul sur le sujet, qui est celui de la fin des illusions : le passage d’un certain idéalisme de personnages marginaux revendiquant un certain nombre de valeurs (liberté, camaraderie) mises à mal au fil de l’évolution du gang et remplacées par la violence, la drogue et l’appât du gain sur fond de guerre du Vietnam.

C’est donc une fois de plus un portrait de l’Amérique que nous livre Jeff Nichols, un portrait presque documentaire de l’Amérique des marges à une époque révolue.

Danièle Mauffrey