La pièce rapportée, d’Antonin Peretjatko
LA PIECE RAPPORTEE – 13 janvier 2022 – Présentation Marion Magnard
Antonin PERETJATKO est né à Grenoble en 1974. Sa famille s’installe ensuite à Brest où Antonin fait toute sa scolarité. Déjà passionné de cinéma, il fera partie dès son plus jeune âge de l’atelier vidéo de son patronage brestois. Après son bac, il décide d’aller à Paris préparer un DEUG Physique-chimie qui lui permettra d’intégrer à Saint Denis l’Ecole Louis LUMIERE, créée en 1926 par Louis Lumière pour enseigner les techniques du cinéma. Quand Antonin en sort diplômé, il ne connait personne dans ce monde qui pourrait le pistonner. Il nous raconte : « j’ai vu une porte entr’ouverte, je l’ai poussé du pied et je suis entré ». Il débute au pied de l’échelle, comme « assistant caméra », tourne des courts métrages, puis réussit à obtenir des Commissions spécialisées dans l’accompagnement des projets de leurs anciens élèves de l’Ecole un financement de 400 000 euros pour le tournage de son premier film, « la fille du 14 juillet », un film percutant, fou, décalé, drôle et triste, tout ce qui sera sa marque de fabrique.
Il tourne ensuite « La loi de la jungle », un pastiche tendre de la filmographie de Jean Luc Godard, puis l’inénarrable « Panique au Sénat » où un arbre marche dans le jardin du Luxembourg. Puis il tombe par hasard sur une revue « Bonne Soirée » de 1980 où il lit une nouvelle de Noëlle RENAUDE « il faut un métier ». Il y voit immédiatement toute la mécanique implacable d’un vaudeville. Il va moderniser l’histoire, y ajouter quelques personnages, quelques situations, plus une contrebasse, celle-ci en clin d’œil à une nouvelle de Tchékov qu’il aime particulièrement. Et ce sera « la Pièce rapportée », un puzzle de flashbacks emboîtés, avec la voix off d’un narrateur omniscient « qui apporte quelque chose que ni l’image ni le montage ne peuvent véhiculer », strate supplémentaire qui s’inscrit comiquement en faux sur ce que l’on voit.
Le réalisateur nous explique : « pour l’ordre des scènes, il y a deux méthodes : la construction à la Fritz Lang, chaque plan en appelle un autre, à la façon des dominos, ou celle de John Ford, où les séquences sont autonomes ». Et il nous rapporte que dans un tournage où Ford avait une semaine de retard, il déchire dans le story-board la page d’une séquence et déclare : maintenant on est à l’heure, on peut continuer.
Et il a choisi de mélanger les deux techniques avec des séquences autonomes, mais imbriquées, parfois en avance, parfois en retard sur l’information, avec des accélérations imprévues « pour dynamiser l’histoire ».
Les décors sont très travaillés. Antonin nous précise que sa décoratrice, née dans les quartiers huppés de Paris, a su parfaitement restituer l’ameublement des belles demeures des 7ème et 16ème arrondissements parisiens. Quant aux costumes, ce n’est pas par hasard qu’Ava passe d’une robe légère à un tailleur dont la jupe est si étroite qu’elle peut à peine bouger les jambes…
Et Peretjatko se fait une joie de se livrer à une critique politique : violences sociales et économiques, rapports de pouvoirs, absence totale de scrupules, avec bien sûr des références à l’actualité.
Côté Casting, Josiane Balasko réussit à combiner grande outrance et grande retenue, Anaïs Demoustier est aussi à l’aise derrière son guichet que dans la grande demeure, et la perruque de Philippe Katherine campe son personnage…
Et pourquoi la tour Eiffel ? Le réalisateur vous répond : « vous ne trouvez pas que ce tas de ferrailles surréalistes illustre parfaitement l’ascenseur social ? Vous êtes déjà monté en haut avec les escaliers ? C’est long, très long… »
Films Toiles Emoi Janv/Fev
Ciné-ma différence
Festival Télérama
ATTENTION ! PAS DE FILM « TOILES EMOI » LES SEMAINES DU 22 ET 29 DECEMBRE 2021Politique de confidentialité
La liste des musiques du film est disponible sur ce site: https://www.cinezik.org/critiques/affcritique.php?titre=cest-ca-lamour Pour le générique de fin, je pense que…
J’ai essayé*
C’est ça l’amour a été très émouvant. Les trois personnages principaux sont très justes et émouvants. Vraiment une surprise pour…
Belle surprise ce soir avec « c’est ça l’amour ». Vraiment très émue. Un film à revoir , de beaux personnages et…
THE FRENCH DISPATCH de Wes Anderson
L’événement, d’Audrey Diwan
Trois femmes créent l’Evénement: Annie Ernaux , l’écrivaine, Audrey Diwan la réalisatrice , Anamaria Vartolomei l’actrice.
Annie Ernaux , 81ans , nous l’avons récemment entendu parler de sa ville : Cergy, dans le documentaire » J ai aimé vivre là ».
En 2000 elle écrit un roman, récit autobiographique, qu’elle intitule l’Evénement ». Avec son style très abrupt, très cru, très précis , elle met des mots sur son avortement clandestin en 1964.
Audrey Diwan , 41ans , réalisatrice, adapte ce récit et recrée avec les outils du cinéma, les attitudes , les émotions que l’ écrivaine analyse. C’est son 2ème long métrage après « Mais vous êtes fous » sorti en 2018 dans lequel elle interroge le tabou de la drogue. Coup de maître , avec l’ Evénement elle remporte le lion d’or à Venise, c’est le 2ème lion d’or reçu par une réalisatrice française après Agnès Varda pour « Sans toit ni loi ».
Anamaria Vartolomei, jeune actrice de 22ans, incarne Anne, étudiante en lettres dans les années 60.Bouleversante de vérité, elle a été inspirée par le style d’Annie Ernaux. Avec un engagement , une rigueur absolus, elle affronte la douloureuse réalité. Sa seule arme : sa détermination
Le film , dit la réalisatrice, » est l’ occasion de revenir sur cette période particulière de notre histoire et de la mémoire des femmes » .Dans les années 60 l’interruption volontaire de grossesse est interdite. Nous sommes 12 ans avant la loi Veil, 4 ans avant la légalisation de la pilule. En avortant les femmes risquaient la mort ou la prison. Le désir sexuel des femmes est proscrit et honteux.
Audrey Diwan a dû mettre en image l’émotion et le combat d’une femme en quête d’émancipation , de liberté, dans un monde régi par des règles écrasant les femmes . Ce que vit l’héroïne est une souffrance taboue. Le mot avortement n’est jamais prononcé dans le film. La solitude d’Anne sidère.
C’est la raison pour laquelle le cadre à l’image a voulu être très resserré sur elle , de façon à transmettre immédiatement aux spectateurs ses mouvements, ses réactions. La caméra à l’épaule s’est imposée, elle ne lâche jamais Anne pour mieux scruter son visage, son regard, son souffle: le souffle est un élément sonore très important. Par le simple traitement de la mise en scène Anne apparaît comme une petite soeur de Rosetta des frères Dardenne.
La réalisatrice et son chef-opérateur se répétaient » il s’agit d’ être Anne , non de la regarder, c’est un soldat , on lui donne des coups , elle se relève, elle regarde toujours devant « . Son refus de capituler , c’est aussi le récit d’une émancipation . Le film parle également de l’envie de s’élever socialement, de désir intellectuel , de désir physique, en cela il reflète bien une époque .
On a reproché à Audrey Diwan certaines scènes très dérangeantes, elle répond qu’elles font prendre conscience de ce qui a été infligé au corps des femmes. Après la projection Annie Ernaux a adressé à Audrey Diwan » vous avez réalisé un film juste »
Denise Brunet
La Fracture, de Catherine Corsini
Présentation de la fracture de Catherine Corsini
Ce film est son 11ème long métrage. Sur trente ans de carrière, elle a embrassé plusieurs genres : Poker en 1987 est son premier long métrage. Elle a proposé une comédie acide avec La nouvelle Eve en 1999, un drame fugueur avec Partir en 2009, une chronique féministe d’un amour entre deux femmes qui se passe dans les années 70 : la belle saison en 2015. Un amour impossible en 2018 est une adaptation très réussie du livre de Christine Angot. La réalisatrice a toujours filmé des héroïnes admirables d’insolence et de combativité. Des rôles qui magnifient des actrices comme entre autres : Karine Viard, Emmanuelle Béart, Kristin Scott Thomas et dans la fracture Marina Foïs et Valérie Bruni Tedeschi. C’est peut-être parce que dans sa jeunesse, Catherine Corsini se destinait à jouer avant de comprendre qu’elle préférait faire le récit du monde qui l’entoure, de ses freins de ses injustices et de ses libertés gagnées.
Sur les motivations du film La fracture, Catherine Corsini évoque le fait qu’elle voulait traduire la réalité d’aujourd’hui après deux films d’époque, retranscrire ce monde angoissé, perclus de conflits. Le 1er décembre 2018, Catherine Corsini se retrouve aux urgences de l’hopital Larivoisière alors que Paris était en état de tension avec les manifestations des gilets jaunes, c’est le point de départ de son inspiration.
La fracture ou peut être plutôt les fractures : Le film embrasse toutes les déclinaisons de ce mot :
- Celle au sein du couple formé par Raf et Julie
- Celle physique qui frappe Raf et qui la conduit à l’hôpital
- Celle qui règne au sein de la société française et qui en novembre 2018 vient de donner naissance au mouvement des gilets jaunes
- Celle qui existe entre le manque de moyen octroyé à l’hôpital public français par les gouvernements successifs et l’extraordinaire dévouement dont font preuve malgré tout, les personnels soignants pour s’occuper des malades.
Le service des Urgences d’un hôpital est le lieu par excellence qui permet de croiser la destinée de gens venant de milieux sociaux très différents. On parle de film choral avec plusieurs intrigues qui s’entremêlent. La cinéaste confronte dans le huis clos d’un hôpital surchargé, un couple petit bourgeois au bord de la rupture à un gilet jaune blessé lors d’une manif.
Les thèmes abordés : l’état policier, la révolte populaire, la fin du déni de la lutte des classes, la destruction de l’hôpital public, l’ébranlement du patriarcat, la vie, la mort et le désespoir amoureux. C’est dense.
Si le sujet est grave, le film est drôle, embarquant Valérie Bruni Tedeschi, Marina Foïs et Pio Marmai ainsi qu’une actrice non professionnelle qui crève l’écran, en jouant son propre rôle d’aide-soignante : Assiatou Diallo Sagna.
Au niveau du tournage, Catherine Corsini explique qu’elle voulait,avec sa directrice de la photographie, Jeanne Lapoirie, relever un défi physique, être en mouvement constamment. Elle tourne pour la première fois caméra à l’épaule. « Je voulais que la tension vécue à l’hôpital explose à l’écran ». La caméra capte la confusion, le manque et le trop plein.
Le film, et c’est sa cohérence, ressemble aux espaces qu’il décrit : une salle d’attente pleine à craquer qui continue de se remplir et de l’autre côté de la porte, un service saturé qui déborde.
Sylvie PACALET
Une vie démente
J’ai aimé vivre là, de Régis Sauder
J’ai aimé vivre là, de Régis Sauder
Régis Sauder a un parcours peu banal pour un réalisateur puisqu’il a fait des études de neurosciences. Il s’est d’abord orienté vers le journalisme scientifique et de là est passé à la réalisation de documentaires. Il a tourné de nombreux documentaires pour la tv, et 3 longs métrages avant celui que nous allons voir: Nous, princesse de Clèves en 2011, sur la réception de l’œuvre de Mme de Lafayette dans un lycée de quartier défavorisé, Etre là, en 2012, sur la prison des Baumettes. Et le plus connu en 2017 : Retour à Forbach. R Sauder est en effet originaire de cette cité minière où il est retourné, après 30 ans d’absence, à la rencontre de ceux qui sont restés sur place.
En mai 2017, il présente son film retour à Forbach dans un cinéma proche de Cergy. C’est à cette occasion qu’il rencontre Annie Ernaux qui a aimé le film et qui l’invite à visiter la ville nouvelle où elle est installée depuis longtemps. Le film met en scène cette rencontre, cette balade de mai 2017, il est nourri de la correspondance qui en a découlé. De son côté, le réalisateur connaissait et appréciait l’œuvre à la fois autobiographique et sociologique d’Annie Ernaux, mais il s’est surtout inspiré ici de son écriture photographique du réel.
Sauder a tenté non seulement de filmer la vie à Cergy, mais de permettre à ses habitants, rencontrés au hasard de ses déambulations, d’énoncer leur récit. « A la suite de notre premier rendez-vous, je suis venu régulièrement à Cergy pour faire des rencontres et découvrir la ville en profondeur. A chaque visite, nous échangions sur ce que je voyais, j’entendais. Je découvrais la ville à travers les yeux des autres, leur joie d’habiter là et je voulais traduire ce sentiment. Le film raconte ce lieu à travers les récits des habitants qui s’y croisent et façonnent son histoire. » Sur le plan de la prise de vue et des cadrages, le réalisateur a choisi de ne pas trop s’approcher des habitants pour les montrer dans l’espace de la ville.
Assez rapidement dans le projet, le réalisateur a travaillé avec un groupe de lycéens à qui il a fait lire des textes d’A Ernaux, on voit donc ici le lien avec Nous princesse de Clèves. Tout au long du film, les textes de l’autrice dialoguent avec les images du film, sans les redoubler et construisent une cartographie subjective de la ville. Les œuvres d’Annie Ernaux dont on entend des extraits dans le film sont tirés de deux ouvrages : Le Journal du dehors (1996) et La vie extérieure (2000).
Les films que nous vous proposons dans le cadre du Festival des Solidarités sont souvent des films qui mettent l’accent sur une réalité douloureuse, nous avons le plaisir ce soir dans le cadre du thème « Vivre parmi les autres/vivre avec les autres », de vous proposer un film poétique, optimiste voire utopique, dont l’affiche annonce le côté chaleureux et solaire. Une source d’inspiration stimulante pour notre réflexion sur les manières de vivre avec les autres.
Merciiiii. Je viens juste de constater que les messages sont sur le volet de droite sur la page d’accueil!