Le réalisateur de ce soir est iranien. Mohammad Rasoulof commence très jeune à écrire et mettre en scène des pièces de théâtre, avant de réaliser des documentaires et des courts-métrages pour le cinéma. En parallèle, il étudie la sociologie. On peut dire que les relations sociales et la façon dont l’individu et la société sont affectés dans un pays totalitaire sont au coeur de son travail.
Après plusieurs courts métrages, il réalise un premier long métrage, Le crépuscule en 2002. La reconnaissance lui vient en 2005 avec La vie sur l’eau, un film sur l’emprise d’une communauté à un chef qui se voit récompensé au festival des films du monde de Montréal.
En décembre 2010, Rasoulof est arrêté avec son compatriote Jafar Panahi, pour avoir co-réaliser Les blanches prairies, film qui raconte les pérégrinations d’un marin qui parcourt les îles du lac salé d’Urmia pour récolter les larmes des insulaires. Il est condamné à un an de prison et Panahi à six ans pour actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran. Cette peine est assortie de vingt ans d’interdiction de filmer.
Les manuscrits ne brûlent pas, en 2013 raconte les meurtres en série des écrivains et journalistes iraniens par le service des informations de la République Islamique d’Iran.
En 2017, Un homme intègre, film sur la corruption, lui vaut à nouveau des ennuis avec les autorités de son pays, qui l’accusent d’activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. Son passeport lui est alors confisqué et il est contraint de rester sur le territoire.
En 2019, il est condamné à un an de prison pour propagande contre le régime après le film Le diable n’existe pas, film contre la peine de mort, qui remporte l’Ours d’or de la Berlinale 2020.
En juillet 2022, Mohammad Rasoulof et Mostafa al-Ahmad sont arrêtés après la publication d’une tribune critiquant l’attitude des forces de l’ordre lors d’une manifestation. Jafar Panahi est arrêté à la suite d’une demande d’informations sur ces arrestations, puis il est libéré sous caution en février 2023. Les autorités iraniennes reprochent aussi à Rasoulof un film documentaire sur le poète Baktash Abtin, Intentional crime, où il accuse le régime d’avoir délibérément privé le poète, emprisonné à Téhéran, des soins que son état de santé nécessitait.
Le Festival de Cannes demande la libération immédiate des cinéastes Rasoulof, Aleahmad et Panahi et condamne la vague de répression en cours en Iran contre ces artistes. Il est libéré à titre temporaire pour raisons de santé en janvier 2023. Invité au Festival de Cannes 2023 comme membre d’un jury, mais toujours sous l’interdiction de quitter le territoire, il ne pourra faire le déplacement.
Le 8 mai 2024, Rasoulof est condamné à une peine de huit ans de prison pour collusion contre la sécurité nationale. Le 77e festival de Cannes, qui débute le 14 mai, a sélectionné son film en compétition officielle Les Graines du figuier sauvage. Son avocat, Me Paknia affirme que les autorités ont convoqué des membres de l’équipe du film pour les interroger et qu’ils ont subi des pressions pour retirer le film des compétitions internationales. Le 12 mai 2024, Mohammad Rasoulof quitte secrètement le territoire iranien afin de se rendre en France, à Cannes.
Mohammad Rasoulof explique que l’idée du film Les Graines du figuier sauvage lui est venue alors qu’il était emprisonné et que commençait le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Il avait en tête la réflexion d’un membre du personnel de la prison, qui en pleine répression généralisée du mouvement « Femme, Vie, Liberté », lui avait confié en aparté, qu’il voulait se pendre devant l’entrée de la prison, tant il était plein de remords et ne pouvait se libérer de la haine, qu’il éprouvait pour son travail.
Le film a été tourné en huis clos avec un minimum de comédiens et de matériel dans des conditions de réalisation et de montage inimaginables. Il est tourné en intérieur, dans des propriétés privées, uniquement à la tombée de la nuit ou au lever du jour. Il illustre l’impact du régime totalitaire iranien sur les liens familiaux. Il montre le drame intime vécu par la famille avec en contrechamp les images de la répression ultra-violente du mouvement « femme, vie, liberté » diffusées sur les réseaux sociaux.
Le titre du film est inspiré du cycle de vie du figuier sauvage, le réalisateur raconte que ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle.
Doris Orlut