Avant de vous parler du film du réalisateur polonais Jerzy Skolimowski, il me faut vérifier vos connaissances.
Je ne sais pas si vous avez rencontré un âne polonais. Quand un âne polonais veut s’exprimer, il ne braie pas Hi Han comme son collègue français, mais E O. Mais ce n’est pas très grave, vous comprendrez quand même car le film est sous-titré.
Ensuite, j’ignore si vous avez lu « Voyage avec un âne dans les Cévennes », de Robert Louis Stevenson, paru en 1879. Dans ce livre, Stevenson nous raconte sa marche dans les Cévennes accompagné d’une ânesse qui porte son bagage. S’il y a une certaine analogie entre le livre et notre film, il y a une différence essentielle : dans le film, le personnage principal, c’est l’âne, pas l’homme..
Et avez-vous vu le film « Au hasard Balthazar » de Robert Bresson, sorti en 1966 ? Ce film a très fortement marqué Skolimowski qui a tenu à tourner sa propre version de cette histoire qui l’avait profondément ému. Même thème donc, mais les points de vue des deux réalisateurs sont tout à fait différents : à la philosophie humaniste, janséniste et mélancolique de Bresson s’oppose la rage amère et …je dirais même punkie du réalisateur polonais, qui à 84 ans est d’une modernité époustouflante.
Jerzy SKOLIMOWSKI est né à Loödz, en Pologne en 1938. Il sera marqué par la guerre, mêlé à la résistance malgré son jeune âge du fait de ses parents très engagés contre l’occupant. Son père est mort en déportation et sa mère a continué la lutte. Il garde le souvenir d’une fouille dans sa chambre alors que sa mère avait caché des documents dans le matelas de son fils…
Ami dès le collège avec Vaclav Havel, il sera ensuite artiste peintre, acteur puis cinéaste. Et il deviendra l’un des plus grands noms du nouveau cinéma Polonais avec WAJDA, ZULAWSKI, KIESLOWSKI, et Roman POLANSKI. Ses films, (je citerai notamment « Travail au noir » ou « Le cri du sorcier ») ont été régulièrement présentés au Festival de Cannes, où il a été membre du Jury. Il y a d’ailleurs obtenu plusieurs fois le grand prix du Jury, et cette année encore pour le film de ce soir.
Dans « EO », JERZY SKOLIMOWSKI embarque son public dans une expérience sensorielle audacieuse, un road movie hors du commun filmé à hauteur des yeux de l’âne. On se souvient qu’il a été peintre car les séquences sont autant de tableaux à couper le souffle. Et le film est baigné par les musiques puissantes de Pawel Mykietyn …et de Beethoven.
Coté casting, l’âne mérite un prix d’interprétation et Isabelle Huppert engagée sans doute pour enrichir la distribution, a été jugée par certains comme « crapahutée de nulle part ».
« EO », allègorie terrible de nos massacres ordinaires, nous conjure de prendre notre vraie place, celle d’un être vivant parmi d’autres, dans le respect de tous.
Et si je puis me permettre de citer l’article de Lydie Pinon dans la Voix de l’Ain sur EO, le coup de coeur de Sylvie Jaillet, on peut dire que SKOLIMOWSKI a su merveilleusement « filmer l’errance d’un âne en peine ».
Marion Magnard