Archives mensuelles : août 2024

Only the river flows, de SHUJUN WEI

ONLY THE RIVER FLOWS, de SHUJUN WEI – 19 août 2024

                                      Présentation de Marion Magnard

 

SHUJUN Wei né à Pékin en 1991. Lycéen, il commence à 14 ans une carrière au cinéma en tant qu’acteur et obtient ensuite un master à l’Université de la Communication à Pékin.

En 2018, le Festival de Cannes, toujours à la recherche de nouveaux talents partout dans le monde, et surtout chez les jeunes cinéastes surnommés « la classe biberon », repère un court métrage de notre SHUJUN, « On the Border » (sur la frontière), qui obtiendra au Festival une « mention spéciale ».

En 2020, son long métrage « Courir au gré du vent » est retenu dans la Sélection officielle mais le Festival n’aura pas lieu pour cause de Pandémie…

En 2021 son film « Ripples of life » que l’on peut traduire par « Les ondulations de la vie » est présenté à la quinzaine des Réalisateurs, et « Only the river flows » » ( seule la rivière coule) au Festival 2023 dans la sélection « Un certain Regard ».

Quatre nominations à Cannes, alors qu’il n’a que 33 ans, ont fait dire que SHUJUN était un peu le « chouchou » de Cannes. Chouchou ou pas, le réalisateur sait ce qu’il doit au Festival et nous raconte : « Pour moi, Cannes a été une immense cinémathèque, qui m’a façonné. Le premier film que j’ai vu à Cannes, c’était Rosetta, des frères Dardenne. Après Rosetta, que je n’ai jamais oubliée, j’ai vu tous les films, je n’ai pas tout aimé, mais ils m’ont tout appris ».

C’est son producteur qui lui a envoyé la nouvelle de l’écrivain chinois YU HUA qui a inspiré son film « Only the river flows », texte qui correspondait à son désir de brouiller la frontière entre réalité et rêve, et le lien entre le mal et la folie.

Le film est un thriller, mais parallèlement à l’enquête policière, le réalisateur poursuit une démarche quasi-existentielle sur le policier chargé de l’enquête, ravagé par sa vie personnelle. Et il a placé l’intrigue dans la Chine des années 90 alors en pleine transition, ce qui lui permet puisqu’il s’agit du passé d’exprimer certaines critiques politiques. Et l’utilisation de la pellicule 16 mm gros grain lui a permis de mieux restituer la texture du cinéma de l’époque.

La musique du film est « Clair de Lune » de Ludwig von Beethoven, mais aussi une composition et interprétation de Howard Shore (à ne pas confondre avec la création du sud coréen Yiruma «River flows in you » de la saga Twilight, inspirée de la composition du français Samuel Vallée « une rivière coule en toi » en 1999), qui porte presque le même nom que le film, mais n’a rien à voir avec lui.

Le rôle principal est tenu par ZHU YILONG, acteur célèbre en Chine. Le réalisateur sourit en avouant qu’il l’a choisi d’abord parce qu’il était « bankable » et que sa présence a bien facilité le financement de son film. ZHU YILONG nous dit qu’il avait l’habitude de cinéastes qui donnaient beaucoup de recommandations sur son jeu alors que SHUJUN lui ne se souciait que de sa bonne intégration au personnage, (spécialement dans la scène avec les oies).

Vous allez voir un film qui n’est pas d’accès facile, un peu comme ceux de David Lynch . Tous deux ne respectent pas les règles du jeu, s’amusant malicieusement à des coupures dérangeantes et laissant beaucoup de liberté d’interprétations au spectateur. Et je me permets de vous donner un conseil : Faites très attention à la scène d’introduction, importante pour expliciter le propos du film et ensuite laissez-vous emporter par les très belles images de la « Rivière qui coule en vous » …

The Bikeriders,de Jeff Nichols

The bikeriders, de Jeff Nichols

La dernière fois que je vous ai présenté un film de Jeff Nichols, c’était en 2016, et il s’agissait de Midnight special. Cette année-là, il avait sorti 2 films coup sur coup : ce film de SF sur la relation entre un père et son fils, et Loving, film traitant du mariage entre une femme noire et un homme blanc dans l’Amérique de 1967. J’ai repris la présentation de 2016 : je vous parlais alors d’un jeune réalisateur (il avait 38 ans, il en a donc aujourd’hui 46) qui s’était imposé grâce à 2 très grands films : Take shelter et Mud, sur les rives du Mississippi. Je vous parlais également de sa relation avec son acteur fétiche, Mickael Shannon, au sujet de qui il disait : « Je ne veux pas faire un seul film sans lui ! (…) Michael Shannon m’inspire, il me rend meilleur, plus efficace ! » Eh bien il n’a pas trahi ses propos de l’époque, et Mickael Shannon sera bien à l’affiche du film de ce soir, même s’il n’incarne pas un des personnages principaux et suite à ce film JN déclare : « Je ne sais pas pourquoi je devrais encore être surpris lorsque Michael Shannon délivre une grande performance, mais je l’ai été, une fois de plus ! »

En revanche, si ses précédents films mettaient souvent l’action sur les relations père/fils, ce n’est pas le cas de celui-ci.

Dès 2018, Nichols révèle qu’il songe depuis 5 ans déjà à réaliser un film de motards situé dans les années 60, mais sans avoir de scénario. M Shannon lui aurait dit : « Tu parles de cette foutue idée depuis si longtemps. Tu ne feras jamais ce [film] ». Rien de tel comme défi pour qu’il se mette au scénario mais ce n’est qu’en 2022 que le projet se précise. The bikeriders est tiré d’un livre de photographies portant le même titre, publié par Danny Lyon (un des personnages du film) en 1967 et le réalisateur a réellement recréé, consciemment ou non, certaines de ces photos, qui étaient affichées dans son bureau pendant toute la préparation du film. Le titre n’est d’ailleurs pas anodin, on a plutôt l’habitude de désigner les motards sous le terme de « bikers », mais celui-ci désigne les motards de la côte ouest, alors que « bikeriders » désigne ceux du midwest (l’histoire se déroule dans l’Illinois)

Bien sûr, quand on réalise un film de motards situé dans les années 60, on ne peut échapper à 2 références écrasantes (et revendiquées par le réalisateur), à savoir L’Equipée sauvage (de Laslo Benedek, 1953, avec M Brando) et le film qui marqua le début du Nouvel Hollywood : Easy Rider de Dennis Hopper avec Peter Fonda , Jack Nichoslon et le réalisateur lui-même. Mais la particularité du film de Nichols réside dans la narration décalée, dans le regard extérieur porté sur ces motards. En effet, ils sont vus à travers le regard du photographe d’abord, mais aussi de Kathy, la compagne du chef de ce gang, 2 personnages qui permettent de prendre du recul sur le sujet, qui est celui de la fin des illusions : le passage d’un certain idéalisme de personnages marginaux revendiquant un certain nombre de valeurs (liberté, camaraderie) mises à mal au fil de l’évolution du gang et remplacées par la violence, la drogue et l’appât du gain sur fond de guerre du Vietnam.

C’est donc une fois de plus un portrait de l’Amérique que nous livre Jeff Nichols, un portrait presque documentaire de l’Amérique des marges à une époque révolue.

Danièle Mauffrey